Se relever et renaître

Jean/Mahmoud Hercule et les missives : deux pièces de Saturnin Barré qui composent le diptyque Se relever et renaître.

2018/2019. Tout commence pour moi dans un Centre de formation des apprentis du bâtiment.
Dans le groupe de jeunes plaquistes et couvreurs avec lequel nous avons le projet Virginie Soum et moi d’écrire et de mettre en jeu un spectacle participatif, il y avait d’un côté Léo, Florian, Helder, Malcom, Ronny, Bryan, Ancelin, Pierre, Gabriel, Maxime, Steve, Lounès ; de l’autre côté il y avait Adama, Ibrahim O., Ibrahim S., Seydou, Lassine, Mamoudou, Mutaro et Zakaria.
Les français et les migrants. Deux blocs. Qui ne se parlaient pas. Blancs ensemble, noirs regroupés… On aurait pu croire que c’était voulu, heureusement c’était plus subi qu’autre chose.
Individuellement chacun était -à peu près- disposé à participer au projet. Bien sûr ceux qui ont vitalement besoin que leur formation soit validée afin de pouvoir poursuivre chez leur patron et rester en France sont les plus motivés.
Pour trouver un point d’ancrage à notre histoire collective je propose d’inventer un personnage principal, dans lequel tout le monde peut se projeter. Mais les deux blocs restent à leur endroit… impossible de se retrouver sur un seul et même prénom.
Depuis le début il y a Mamoudou qui nous faire croire qu’il s’appelle Mahmoud. Il devait bien aimer ce prénom, ça devait aussi l’amuser de nous embrouiller, mais je pense au fond qu’il voulait voir comment nous prononçons le « h » : à la française en le faisant disparaître, ou en arabe comme il le prononçait lui, avec « le milieu de la gorge » ?
Dans l’espoir de réunir les deux blocs je propose que notre personnage ait un prénom composé. On pourrait effectivement l’appeler Mahmoud (bien sûr prononcé en arabe, le « h » se prononçant « rr »), en l’associant à un prénom de souche française. « Jean-Mahmoud » est arrivé très vite. Ça les a amusés. Les deux blocs étaient contents de se réunir autour de ce personnage, de lui inventer une histoire commune.
Juin 2019. Nous sommes allés au bout. Heureux, tous, que les deux blocs aient joué ensemble. En quittant le CFA, je comprends que ce prénom « Jean-Mahmoud » deviendra le titre d’une pièce.
Parce qu’il indique un mouvement double de nécessité d’intégration et de besoin de conservation de ses origines. Parce qu’il sous-tend un conflit interne fort chez le personnage, tenté de renaître dans un autre prénom. Parce que qu’il raconte malgré lui qu’il est encore aujourd’hui impensable de réunir dans un prénom deux cultures qui composent pourtant notre pays depuis longtemps. Parce que pour beaucoup de français il est encore aujourd’hui difficile d’accepter de prononcer certains noms avec une phonétique arabe (alors qu’on respecte les prononciations à l’anglaise sans se poser de question).
Parallèlement dans la vie de La Tribu d’Essence, Virginie Soum mène l’aventure de Traversées avec un comédien professionnel et un groupe d’interprètes exilés. Majoritairement des mineurs isolés, dont certains se confient. Ce qui a causé leur exil. Comment ils sont arrivés en Europe. Ce(ux) qu’ils ont perdu. Comment se sont-ils retrouvés à Auxerre. Ce qu’ils espèrent. Comment ils étudient ou apprennent. Ces récits me nourrissent, me permettent de donner corps au personnage de Mahmoud, mineur réfugié Burkinabé qui essaye de maîtriser son accent et se fait appeler Jean.
Imprégné et investi de la réalité brute de ces récits de vie je convoque un théâtre de nature documentaire qui s’immisce dans le réel sans qu’on le voie venir. Jean s’adresse directement à nous car il cherche la préfecture et s’est trompé de bâtiment. Il est âgé de 17 ans ½ et a rendez-vous aujourd’hui pour l’étude de son dossier de demande d’acquisition de la nationalité française.
« Jean-Mahmoud » deviendra JEAN/MAHMOUD. Une pièce au fil réaliste et concret dans laquelle surgissent des séquences du passé pour nous raconter l’histoire d’un mineur exilé qui chercher à renaître.
J’écris guidé par l’envie de faire vivre au spectateur une plongée théâtrale à l’intérieur d’un jeune qui s’adresse directement à nous, ici et maintenant. Une rencontre intime et inédite, proposée à des collégiens et des lycéens qui sont tout proche de l’âge du personnage et sont peu, pas, ou mal informés (les migrations internationales sont au programme de 4ème… combien de jeunes ont-ils déjà rencontré un.e exilé.e ?).
Pour autant il ne s’agit pas d’un récit de vie. La pièce comporte des enjeux de théâtre, des problématiques dramaturgiques et des questionnements existentiels et politiques. Je propose des brèches dans la réalité de la représentation à l’apparence documentaire grâce au surgissement sur des bureaux roulants de personnages du passé, qui donnent corps à l’histoire de Mahmoud, provoquant son changement d’apparence (grâce à un costume gigogne).
Personnage après personnage, indice après indice, nous découvrons ce à quoi Mahmoud a été confronté… qu’il ne s’appelle pas Jean, qu’il est dans la tentation de faire disparaître son identité, si cela peut l’aider à vivre mieux. Nous remontons jusqu’à ses origines et comprenons intimement ses choix et objectifs.
Peut-on être un autre ? Peut-on réussir à changer radicalement de vie ? Si oui, quelle légitimité a-t-on dans une nationalité nouvelle ?
Quand Mahmoud nous quitte, la préfecture lui accordera-t-elle le droit de vivre en France ?
Du théâtre entre réalité et fiction, à l’adresse directe, à jouer sans quatrième mur, partout, à la lumière du réel.

2019/2020. Je travaille par phases à l’écriture de Jean/Mahmoud tout en continuant à être au contact de jeunes exilés avec le projet Missives.
J’aide 22 jeunes -collégiens, lycéens, volontaires majoritairement africains- à inventer un destinataire -réel ou imagé- et à lui adresser une lettre. Qu’ils travailleront ensuite à dire.
Imprégné de ces rencontres profondément touchantes, investi leurs paroles puissantes, je sens que je ne peux laisser ces lettres retomber dans le silence de l’après projet d’action artistique. Virginie Soum ayant l’impérieuse nécessité de poursuivre le travail de rencontre au plateau entre un acteur professionnel et des interprètes amateurs exilés, je propose d’écrire un texte de théâtre qui prenne en charge certaines des missives.
Comment et pourquoi un homme occidental parviendrait à s’investir de ces écrits ?
Me revient en mémoire une amie qui travaillait à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Qui disait combien ce métier est difficile, avant de le quitter et de partir vivre en Afrique.
J’imagine le témoignage d’un officier d’instruction de l’OFPRA qui a craqué, qui aujourd’hui vient dire adieu à la France car il a décidé de porter dans leurs pays les lettres des hommes exilés qu’il a rencontré au sein d’un atelier d’écriture et de théâtre. Quand il nous lit certaines de ces lettres, leurs auteurs surgissent. Une mise en abyme de mon travail au travers d’un personnage qui pourrait être moi.
Je poursuis cette démarche d’écriture de théâtre à l’adresse directe joué dans la surprise de l’instantané, à la nature documentaire déjà présente pour Jean/Mahmoud.
Hercule se confie à nous, professionnel de l’accueil représentant l’état français, être humain confronté à l’accueil du désespoir et de la misère de la planète… qui décide de s’extraire de son existence et d’en inventer la suite en allant symboliquement réparer des liens brisés dans le monde. « Hercule a du travail » se dit-il…
Hercule et les missives intègre dans sa dramaturgie cinq des lettres écrites avec des jeunes exilés en 2019/2020.
Mahmoud, Hercule, l’Afrique, la France, l’exil, l’accueil, une arrivée, un départ, deux migrations symptomatiques de notre époque. Deux trajectoires de vie parallèles mais reliées par le besoin intime et universel de se réinventer. Deux rencontres avec des personnages qui se relèvent et renaîtront.

Saturnin Barré, mars 2021.

 

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Création de Hercule et les Missives en 2021 – création de Jean/Mahmoud horizon 2022

 

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