Jean/Mahmoud

Une pièce de Saturnin Barré

Jean tape à la porte de notre salle. Il cherche la préfecture mais s’est trompé de bâtiment. En attendant son éducateur il nous explique qu’il est âgé de 17 ans ½ et qu’il a rendez-vous aujourd’hui pour l’étude de son dossier de demande d’acquisition de la nationalité française. 

Au milieu de cette rencontre réaliste qui ne semble pas être du théâtre, des séquences du passé surgissent. Nous découvrons que Jean s’appelle Mahmoud. Il est Burkinabé, mineur réfugié depuis deux ans en France.

Un projet autonome techniquement à 2 comédiens pour 4 personnages, sans quatrième mur, à jouer partout, à la lumière du réel.

 

2018/2019.
Tout commence pour moi dans un Centre de formation des apprentis du bâtiment.
Dans le groupe de jeunes plaquistes et couvreurs avec lequel nous avons le projet Virginie Soum et moi d’écrire et de mettre en jeu un spectacle participatif, il y avait d’un côté Léo, Florian, Helder, Malcom, Ronny, Bryan, Ancelin, Pierre, Gabriel, Maxime, Steve, Lounès ; de l’autre côté il y avait Adama, Ibrahim O., Ibrahim S., Seydou, Lassine, Mamoudou, Mutaro et Zakaria.
Les français et les migrants. Deux blocs. Qui ne se parlaient pas. Blancs ensemble, noirs regroupés… On aurait pu croire que c’était voulu, heureusement c’était plus subi qu’autre chose.
Individuellement chacun est -à peu près- disposé à participer au projet. Bien sûr ceux qui ont vitalement besoin que leur formation soit validée afin de pouvoir poursuivre chez leur patron et rester en France sont les plus motivés.
Pour trouver un point d’ancrage à notre histoire collective je propose d’inventer un personnage principal dans lequel tout le monde puisse se projeter. Mais les deux blocs restent à leur endroit… impossible de se retrouver sur un seul et même prénom.
Depuis le début il y a Mamoudou qui nous faire croire qu’il s’appelle « Mahmoud ». Il devait bien aimer ce prénom, ça devait aussi l’amuser de nous embrouiller un peu, mais je pense au fond qu’il voulait voir comment nous prononcions le « h » : à la française en le faisant disparaître, ou en arabe comme il le prononçait lui, avec « le milieu de la gorge » ?
Dans l’espoir de réunir les deux blocs je propose que notre personnage ait un prénom composé. On pourrait effectivement l’appeler Mahmoud (bien sûr prononcé en arabe, le « h » se prononçant « rr »), en l’associant à un prénom de souche française. « Jean-Mahmoud » est arrivé très vite. Ça les a amusés. Les deux blocs étaient contents de se réunir autour de ce personnage, de lui inventer une histoire commune.
Juin 2019. Nous sommes allés au bout. Heureux, tous, que les deux blocs aient joué ensemble. En quittant le CFA, je comprends que ce prénom « Jean-Mahmoud » deviendra le titre d’une pièce.
Parce qu’il indique un mouvement double de nécessité d’intégration et de besoin de conservation de ses origines. Parce qu’il sous-tend un conflit interne fort chez le personnage, tenté de renaître dans un autre prénom. Parce que qu’il raconte malgré lui qu’il est encore aujourd’hui impensable de réunir dans un prénom deux cultures qui composent pourtant notre pays depuis longtemps. Parce que pour beaucoup de français il est encore aujourd’hui difficile d’accepter de prononcer certains noms avec une phonétique arabe (alors qu’on respecte les prononciations à l’anglaise sans se poser de question).
Parallèlement dans la vie de La Tribu d’Essence, Virginie Soum mène l’aventure de Traversées avec un comédien professionnel et un groupe d’interprètes exilés amateurs. Majoritairement des mineurs isolés, dont certains se confient. Ce qui a causé leur exil. Comment ils sont arrivés en Europe. Ce(ux) qu’ils ont perdu. Comment ils se sont retrouvés à Auxerre. Ce qu’ils espèrent. Comment ils étudient ou apprennent. Ces récits me nourrissent, me permettent de donner corps au personnage de Mahmoud, mineur réfugié Burkinabé qui essaye de maîtriser son accent et se fait appeler Jean.
Imprégné et investi de la réalité brute de ces récits de vie je convoque un théâtre de nature documentaire qui s’immisce dans le réel sans qu’on le voie venir. Jean s’adresse directement à nous car il cherche la préfecture et s’est trompé de bâtiment. Il est âgé de 17 ans ½ et a rendez-vous aujourd’hui pour l’étude de son dossier de demande d’acquisition de la nationalité française.
« Jean-Mahmoud » deviendra JEAN/MAHMOUD. Une pièce au fil réaliste dans laquelle surgissent des séquences du passé qui nous font vivre l’histoire d’un mineur exilé qui chercher à renaître.
J’écris guidé par l’envie de faire vivre au spectateur une plongée théâtrale à l’intérieur d’un jeune qui s’adresse directement à nous, ici et maintenant. Une rencontre intime et inédite, proposée à des collégiens et des lycéens qui sont tout proche de l’âge du personnage et sont peu, pas, ou mal informés (les migrations internationales sont au programme de 4ème… combien de jeunes ont-ils déjà rencontré un.e exilé.e ?).
Pour autant il ne s’agit pas d’un récit de vie. La pièce comporte des enjeux de théâtre, des problématiques dramaturgiques et des questionnements existentiels et politiques. Je propose des brèches dans la réalité de la représentation à l’apparence documentaire grâce au surgissement sur des bureaux roulants de personnages du passé, qui donnent corps à l’histoire de Mahmoud, provoquant son changement d’apparence (grâce à un costume gigogne).
Personnage après personnage, indice après indice, nous découvrons ce à quoi Mahmoud a été confronté… qu’il ne s’appelle pas Jean, qu’il est dans la tentation de faire disparaître son identité, si cela peut l’aider à vivre mieux. Nous remontons jusqu’à ses origines et comprenons intimement ses choix et objectifs.
Peut-on être un autre ? Peut-on réussir à changer radicalement de vie ? Si oui, quelle légitimité a-t-on dans une nationalité nouvelle ?
Quand Mahmoud nous quitte, la préfecture lui accordera-t-elle le droit de vivre en France ?
Du théâtre entre réalité et fiction, à l’adresse directe, à jouer sans quatrième mur, partout, à la lumière du réel.

Saturnin Barré, mars 2021.

 

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Hercule et les missives – Jean/Mahmoud deux pièces de Saturnin Barré qui composent le diptyque Se relever et renaître.

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